Une virée en mer, des traces de sang et un corbeau… Le mystère tenace de la disparition de la famille Godard
Le 1er septembre 1999, Yves Godard, un médecin normand loue un voilier avec ses deux jeunes enfants. Plus personne les reverra vivants. Que leur est-il arrivé ? Et qu’est-il advenu de Marie-France, la femme du médecin ?
Cet été, 20 Minutes prend le large et replonge dans les affaires criminelles célèbres qui se sont déroulées à bord d’un bateau. Parmi elles, la disparition de la famille Godard en septembre 1999.
Yves Godard, un médecin normand, a embarqué sur un voilier à Saint-Malo avec ses deux enfants, Camille et Marius, âgés de 4 et 6 ans. Personne ne les a revus. Et qu’est-il advenu de Marie-France, la femme du médecin ? Elle n’était pas sur le bateau mais a également disparu.
En septembre 2012, après treize ans d’instruction, un non-lieu a été prononcé.
Dans le jargon policier, on appelle cela fermer des portes. Pour le commun des mortels, il s’agit d’écarter une à une toutes les pistes envisageables dans une énigme criminelle. Jusqu’à ce qu’un scénario se dessine, soutenu par des preuves et des témoignages. Qu’un suspect se détache, que ses motivations soient mises en lumière. Oui, mais voilà, que faire lorsque toutes ces hypothèses mènent à des impasses ? Lorsque, indices après indices, le mystère s’épaissit.
L’affaire Yves Godard – du nom de ce médecin disparu il y a vingt-six ans avec ses deux jeunes enfants et son épouse, Marie-France – est l’un de ses dossiers sans certitude. Enfin, si, une seule. La famille est morte. Mais comment ? Naufrage ? Meurtre d’un tiers ? Féminicide et infanticides suivi d’un suicide ? Malgré des investigations menées aux quatre coins de la France, au Royaume-Uni et même au Brésil, plus de 400 réquisitions et 50 commissions d’experts, l’enquête n’a jamais été résolue.
Du sang de Marie-France Godard, mais pas de corps
Retour le 1er septembre 1999. Ce jour-là, Yves Godard, un médecin acupuncteur normand, accompagné de ses deux enfants, Marius, 4 ans et Camille, 6 ans, louent un voilier pour la semaine à Saint-Malo. La famille prend le large mais cinq jours plus tard, l’annexe du bateau est repérée dérivant au large de l’île de Batz, dans le Finistère. A l’intérieur, les enquêteurs découvrent un blouson et le chéquier du praticien. Mais aucune trace de ses occupants. Et impossible de localiser le voilier. La découverte est d’autant plus intrigante qu’Yves Godard est un marin émérite et que les conditions météo sont excellentes. Une autre question s’impose rapidement : où se trouve la femme d’Yves Godard, Marie-France ? Le loueur en est sûr, elle n’était pas présente le 1er septembre. Dans le Calvados, où la famille résidait, le voisin a assisté au départ du médecin et de ses enfants, mais pas de sa femme.
Le 7 septembre, l’affaire prend un tournant plus inquiétant encore : le véhicule familial, un combi Volkswagen, est repéré sur un parking de Saint-Malo. A l’intérieur, les gendarmes constatent des traces de sang. Deux jours plus tard, décision est prise de perquisitionner la maison des Godard, une demeure cossue à une vingtaine de kilomètres de Caen. Là encore, du sang est retrouvé sur le matelas du lit conjugal, sur un plaid et sur un mur. Les analyses sont formelles : dans les deux cas, il s’agit du sang de Marie-France.
Yves Godard fait figure de principal suspect. Le parquet de Saint-Malo ouvre une information judiciaire pour meurtre. « Malgré ces éléments, leurs proches ont du mal à imaginer un scénario criminel tant l’attachement d’Yves Godard pour ses enfants est fort », se remémore Me Jean de Mézerac, qui fut l’avocat de la famille de Marie-France Godard et notamment de ses deux aînés, nés d’un précédent mariage. Quid du sang ? Selon le conseil, les expertises ne permettent pas d’établir que la quantité de sang retrouvée implique forcément le décès.
Un corbeau jamais identifié
Le secteur est ratissé. En vain. Le 23 septembre, le canot de sauvetage du voilier est repéré sur une plage anglaise. Mais aucune trace du suspect et de ses enfants. En octobre, le mystère s’épaissit un peu plus lorsque la gendarmerie est destinataire de deux lettres anonymes. « Le docteur Yves Godard est bien vivant. Il vit en mer d’Irlande, sur l’Isle de Man [entre le Royaume-Uni et l’Irlande]. Le prendre au sérieux », peut-on lire sur la première. La seconde, postée trois semaines plus tard, indique qu’il se trouverait au nord de l’Ecosse. Les recherches ne sont pas concluantes et le corbeau – dont l’ADN retrouvé sur les timbres indique qu’il s’agit d’une femme – ne sera jamais identifié malgré 300 prélèvements.
L’enquête patine. Le médecin a-t-il pris le large avec sa famille pour échapper à ses créanciers, lui qui est couvert de dettes ? Ont-ils vraiment fait naufrage ou s’agit-il d’une mise en scène pour détourner l’attention des autorités ? Et où se trouve Marie-France Godard ? En janvier 2000, un sac de toile contenant de nombreux effets personnels de la famille – vêtements, sac à main, permis de conduire… – est repêché par un chalutier du côté de l’île de Batz. Mais toujours pas de trace du voilier.
La fin de l’espoir
En juin 2000, une macabre découverte vient confirmer les craintes de la justice. Le crâne de la petite Camille est découvert, pris dans les mailles d’un filet de pêche, dans la baie de Saint-Brieuc. Les marins confient avoir rejeté à la mer quelques heures plus tôt un autre crâne, plus petit. S’agit-il de celui de Marius ? On ne le saura jamais car malgré d’intenses recherches, il ne sera jamais retrouvé. « A ce moment-là, l’espoir s’évanouit complètement, poursuit Me de Mézerac. C’est d’autant plus difficile que la famille a appris au JT la découverte du crâne de Camille. Cette affaire, c’est avant tout un drame humain. »
Le mystère prend une nouvelle dimension en 2001 lorsque, entre février et juillet, cinq cartes – bancaires, vitale ou professionnelle – sont retrouvées sur une plage des Côtes-d’Armor. Or, les experts sont formels : leur état est « incompatible avec un séjour prolongé dans l’eau de mer ». Est-ce le signe que Godard est vivant ? Ou un coup du corbeau ? D’un tiers ? Une dernière carte est retrouvée dans la même commune en décembre 2008. Comment cette carte s’est retrouvée là ? Cette fois-là, les enquêteurs ont une certitude : elle n’a pas pu être déposée par Yves Godard. Deux ans auparavant, en 2006, un fémur et un tibia lui appartenant ont été repêchés dans le Finistère. Le « poseur » de cartes ne sera jamais identifié. De même, aucun élément structurel du bateau – la coque, le gouvernail… – ne sera jamais retrouvé. « C’est d’autant plus étrange que c’est une des mers les plus draguées du monde », insiste l’avocat.
Une enquête close après treize ans d’enquête
Dans cette affaire, de multiples pistes ont été suivies pour tenter de reconstituer le puzzle. En 2011, dans un livre intitulé L’assassinat du docteur Godard (Les Arènes), le journaliste Eric Lemasson soutient que le médecin a été tué sur fond de discorde avec la Confédération de défense des commerçants et des artisans. La piste est explorée mais mène une nouvelle fois à une impasse. Avec les années, le conseil de Marie-France Godard s’est forgé une opinion. « Je pense que Godard, pour des raisons qui lui sont propres, a décidé de mettre fin à ses jours et d’emmener avec lui sa femme et ses enfants. Il a simulé son naufrage pour dissimuler son geste, protéger son image, sa réputation. » Des mots feutrés pour évoquer un féminicide et un double infanticide suivi d’un suicide. Mais quel a été le déclencheur du passage à l’acte ? Mystère.
En septembre 2012, après treize ans d’instruction, un non-lieu est prononcé. « Quand il n’y a plus d’élément concret à vérifier, il faut bien constater que l’enquête n’est plus utile, avec l’espoir que la clôture du dossier amène des gens à parler à la justice », expliquait en 2019 à France Bleu le procureur de la République de Saint-Malo, Alexandre de Bosschère. Et de préciser : « Aujourd’hui, seule la piste du naufrage accidentel doit être écartée. Le reste, c’est ce qui fait que ce dossier reste un mystère. » Un dossier toutefois susceptible d’être rouvert